Blog dédié au réalisateur Luigi Comencini et explorant l'ensemble de sa riche filmographie. Chaque film fait l'objet d'une description détaillée (fiche technique, scénario, interprétation) et d'un panorama critique, le tout agrémenté de nombreuses photos, affiches, vidéos et liens divers.
Marquedi fait la traite des blanches. Une des filles, Alda, s'échappe du bateau et se met en ménage avec Carlo, auquel Marquedi vient demander une indemnité. Le jeune homme le met à la porte, mais Marquedi s'arrange pour qu'il soit compromis dans une affaire de cambriolage et arrêté. Marquedi organise un marathon de danse qui lui permet de recruter des filles. L'une d'elles, Lucie, devient sa maîtresse. Alda participe au concours, mais s'aperçoit qu'elle attend un enfant, décide de s'arrêter et va réclamer les primes qu'elle a gagnées. Marquedi refuse de la payer et la frappe. Apprenant que la jeune femme est à l'hôpital, Carlo s'évade, mais arrive juste à temps pour recueillir le dernier soupir d'Alda. Avec ses camarades, il se lance à la poursuite de Marquedi . Au moment où il va exécuter le gangster, la police intervient et arrête tout le monde.
Assistants du réalisateur : Massimo PATRIZI, Sergio LEONE.
Scénario : Luigi COMENCINI, Massimo PATRIZI, Ivo PERILLI, Antonio PIETRANGELI, Luigi GIACOSI, sujet de Luigi GIACOSI, Luigi COMENCINI.
lmage : Luciano TRASATTI.(Noir et blanc).
Musique : Armando TROVAJOLI.
Montage : Nino BARAGLI..
Décors : Luigi GERVASI.
Costumes : Dario CECCHI.
Son : Aldo CALPINI.
Direction de la production : L.GIACOSI, Paolo FRASCA.
Production : Dino de LAURENTIIS, Carlo PONTI, Ponti-De Laurentiis, Excelsa Film.ITALIE, 1952.
Genre : Drame social.
Durée : 97mn.
Sortie : 25 Septembre 1952 (Italie), 24 juillet 1953 (France)
FILM RESTAURÉ | COPIE NUMÉRIQUE SORTIE FIN 2014
DISTRIBUTION
Eleonora ROSSI DRAGO (Alda)
Silvana PAMPANINI (Lucia)
Tamara LEES (Clara)
Barbara FLORIAN (Fanny),
Marc LAWRENCE (Marquedi)
Vittorio GASSMAN (Michele)
Ettore MANNI (Carlo Sozzosi)
Enrico Maria SALERNO (Giorgio)
Sophia LOREN (Elvira) créditée comme Sofia LAZZARO
Antonio NICOTRA (Bernardino l'avocat)
Ignazio BALSAMO (Stefano, le négrier) Le Français
Brunetta SESSARTINI (Linuccia Consiglio)
Franco BOLOGNA (Agostino Barilli "le Gorille")
Silvio GIGLI : Le premier animateur du marathon de danse
Gianni BONOS (Spartaco Fossati alias Gancio)
Duilio d'AMORE (Amerigo Amerigo Consiglio alias "Pignatta")
Clara di STEFANO (Regina)
Giorgio NENCINI (Renzo)
Bruna ROSSINI (Linuccia)
Manuel SERRANO (Adriano) Manuel ??
Gondrano TRUCCHI (le commissaire)
Maria ZANOLI (La femme de Fossati) créditée Bianca ZANOLI
La traite des blanches emprunte aux codes du film noir américain et reste une vraie découverte dans la filmographie de Comencini. Ici le ton n'emprunte jamais à la comédie et décrit de manière réaliste le milieu de la prostitution au travers le marathon de danse qui préfigure "On achève bien les chevaux" de Sydney Pollack (1969) et qui sert à recruter les filles qui seront embarquées par bateau en Amérique du sud, où elles alimenteront les réseaux de prostitution. Le film surfe avec le mélodrame, accuse par moments les marques du temps mais reste un bon film d’atmosphère dont la meilleure partie se déroule sur la piste de danse où les pauvres exploités vont jusqu'au bout de leurs forces en suivant la musique, encouragés par de riches spectateurs qui paient pour les humilier encore plus pour qu'ils se livrent à des danses frénétiques. L'interprétation est excellente avec beaucoup d"acteurs prometteurs à leurs débuts, ainsi Vittorio Gassman, Sophia Loren dans son premier vrai rôle important (alors créditée au générique Sofia Lazzaro), et parmi les femmes la sublime Eleonora Rossi Drago, Tamara lees, Silvana Pampanini. Pour Comencini, c'est un film de commande qui vient après Volets clos qui parlait aussi de la prostitution. Ce n'est donc pas un film personnel mais il reste bien réalisé et recommandable.
VIDEOS
Bande annonce
LIENS
http://www.unzerofilms.com/?p=1043
PRESSE
« Ce titre ‘accrocheur’ désigne un film extrêmement prenant, réaliste sans exagération et d’une grande sincérité. Il s’attaque notamment aux marathons de danse, qui exploitent le dénuement de pauvres filles attirées par de maigres primes. La distribution est brillante, notamment du côté féminin, avec Eleonora Rossi-Drago, Silvana Pampanini et Tamara Lees. […] Découpage et montage excellents. Le film, sans concessions et sans outrances, se déroule sur un rythme implacable. Les prises de vue variées, aux cadrages parfaits, complétées par le jeu remarquable d’acteurs bien dirigés, font partager au spectateur l’épuisement atroce des danseuses. Les scènes de bagarre nocturnes contiennent un suspense très efficient. »
La Cinématographie Française – 1953
« Un portrait de femme remarquable amené par Mlle Pampanini, qui fait preuve d’un talent d’un talent surprenant de comédienne, renforçant d’autant plus ses regards. Mlle Lees, l’une des plus avenantes des quatre femmes principales, est superbe en partenaire du vice-président et en patronne des «modèles». […] La musique de fond d’Armando Trovaioli est excellente. »
Variety – 1958
« La traite des blanches qui se révèle être à la fois un récit symptomatique de l’Italie de cette époque, le début des années 50, et une conjugaison universelle des travers humains. […] Cette histoire de femmes que l’on traite comme du bétail, à qui l’on fait croire à un eldorado, est toujours bien présente de nos jours. Des jeunes filles venues des pays de l’Est débarquent encore ce matin en Europe … Réalisé de façon mélodramatique, La traite des blanches mêle des sentiments aussi diffus qu’extrême comme l’amour et la haine, la vengeance et la compassion. Le noir et blanc obligé renforce cette mise en scène abrupte, qui doit à la fois à l’expressionnisme allemand et au néo réalisme italien. Dans les suppléments, le journaliste Giorgio Gosetti rejette pourtant toute appartenance à ce mouvement. Il concède malgré tout que Comencini avait « une façon de traiter de manière naturelle la réalité, et une facilité pour s’adapter au décor, aux situations, aux acteurs qui ne venaient pas d’une école, d’une expérience d’un studio. »
A Rome, chaque année, au mois d'août, les épouses partent sur la côte en vacances pendant que leurs maris respectifs restent à la maison pour travailler. C'est une période bénie pour ces hommes en quête d'aventures sentimentales. Sans leurs femmes pour les surveiller, il s'éveillent à la séduction. Mario, marié depuis peu avec Romana, tombe très amoureux de Lionella. Alberto, Fernando et Giacinto, ses amis, tentent eux aussi de trouver l'amour….
FICHE TECHNIQUE
Réalisateur : Luigi COMENCINI.
Assistants du réalisateur : Paolo BIANCHINI, Luciano ARANCIO, Maurizioi LUCCI, Bruno BENEK.
Scénario : Luigi COMENCINI, Edoardo ANTON, Dino VERDE, Gino VISENTINI, Ruggero MACCARI, Sandro CONTINENZA, sujet de Luigi COMENCINI, Suso Cecchi d'AMICO, idée d'Alfredo MIRABILE.
Image : Armando NANNUZZI.(Noir et blanc).
Caméra : Marcello GATTI.
Musique : Domenico MODUGNO, direction d'orchestre Felice MONTAGNANI.
Montage : Nino BARAGLI.
Décors : Peck G.AVOLIO (direction artistique), Mario SERTOLI.
Costumes : Adrianna BERSELLI.
Son : Giovanni ROSSI, Bruno MOREAL.
Script : Anna Maria MONTANARI.
Maquillage : Franco PALOMBI.
Régie : Alfredo MIRABILE.
Direction de la production : Massimo PATRIZI, Orlando ORSINI.
Production : Oscar Film, Morino Film.ITALIE, 1957.
Genre : Comédie.
Durée : 95 mn.
Sortie : 1er Janvier 1958 (ITalie), Inédit en France
DISTRIBUTION
Nino TARANTO (Giacinto)
Renato SALVATORI (Mario)
Memmo CAROTENUTO (Fernando)
Riccardo NAMARA/Richard McNAMARA (Ciccio)
Giorgia MOLL (Lionella,le peintre)
Yvette MASSON (Quinta)
Franco FABRIZI (Alberto, le célibataire)
Irene CEFARO (Gisella, l'amie de Lionella)
Hélène REMY (Romana, l'épouse de Mario)
Marisa MERLINI (Aida, la prostituée)
Franca VALERI (Olivetti, la fausse épouse)
Franca GANDOLFI (Sandrina, la maîtresse d'Alberto)
Elena KIRIANOVA (Teresa, le modèle)
Mario FRERA (Beppe, l'employé de Fernando)
Clara BINDI (l'épouse de Giacinto)
Dolores PALUMBO (la concierge)
Dina PERBELLINI (la belle-mère)
Benedetta RUTILI (la cliente de Fernando)
Mariti in citta est une comédie plaisante, sans conséquence, légère, bien rythmée mais qui s'oublie vite. C'est ce qu'on a l'habitude d'appeler un film mineur dans la carrière d'un grand réalisateur comme Comencini. Il faut le placer dans son contexte de production : il vient après l'échec commercial total de son dernier film "Tu es mon fils" qui lui tenait très à coeur, échec injuste au vu de la qualité du film. Comencini se trouvait donc dans une situation difficile et pour retouver la confiance des producteurs, il accepta des commandes et revient à la comédie, genre dans lequel on voulait le cantonner. En trois ans, il tournera donc ce film et deux autres Mogli pericolose (1958) et Le sorprese dell'amore (1959), un tryptique donc avec pratiquement les mêmes acteurs et des histoires assez proches. Pour revenir à Mariti in citta, il s'intéresse aux aventures amoureuses auxquelles se livrent les hommes mariés, à Rome, tous les été au mois d'août, une fois leurs femmes parties en vacances au bord de la mer avec leurs enfants tandis qu'eux sont restés pour travailler. Cela évoque le film Sept ans de réflexion (Billy Wilder, 1955) du moins dans son point de départ mais ici ce sont les histoires de plusieurs maris qui sont entremêlées. L'intrigue principale s'intéresse à Mario, jeune marié, qui tombe amoureux d'une jeune peintre au visage angélique (très charmante Giorgia Moll). D'autres intrigues secondaires suivent des personnages plus truculents les uns que les autres : Riccardo qui vit en concubinage, mais qui se garde bien de sortir sa fiancée, de peur de perdre sa réputation de coureur de jupons; Giacinto, un vieux professeur qui en pince pour la bonne de ses voisins aux formes généreuses; Alberto qui vit un nouveau grand amour canin (sa femme lui interdisant de prendre un chien) et Fernando qui est un mari ultra-jaloux n'hésitant pas à séduire la gente féminine qui fréquente son magasin d'antiquités. Tout cela est amusant, plein de rebondissements, le portrait du mâle italien en goguette, sans son épouse, est bien esquissé. La fin est un peu convenue, tout rentrant sagement en ordre, ici point de famille éclatée ou de couple en crise, ou alors ce n'est que de courte durée. Tous les personnages se retrouvent même au mariage de celui qui passait pour le séducteur impénitent. Finalement, les hommes essaient d'obéir à leurs pulsions mais n'y arrivent pas, leurs tentatives aboutissant à des fiascos. Ils se retrouvent lâches et désarmés dès le retour de leur conjoint.
Giorgia Moll, magnifique ici on ne le dira jamais assez, jouera par la suite dans trois autres films de Luigi Comencini : Mogli pericolose (1958), L'incompris (1967) et Les russes ne boiront pas de coca cola (1968). Les cinéphiles ne l'oublieront pas non plus en secrétaire de Jack Palance dans Le mépris de Jean-Luc Godard (1963).
Antonia et Peppino, un couple de chiffonniers, vivent avec leurs cinq enfants dans un bidonville de la banlieue romaine. Ils sont liés par un rituel immuable à une riche vieille dame américaine qui, chaque année, vient passer quelques jours à Rome. Passionnée par le jeu, celle-ci invite Antonia et Peppino dans sa somptueuse villa pour y disputer d'interminables parties de "scopone scientifico", un jeu de cartes où ils excellent. Malgré l'adresse du couple à ce jeu complexe, la vieille dame l'emporte toujours car sa fortune lui permet de miser sans fin. Pourtant, Peppino et Antonia gardent l'espoir d'empocher un jour "l'argent de la vieille"….
FICHE TECHNIQUE
Réalisateur : Luigi COMENCINI.
Scénario : Rodolfo SONEGO.
Image : Giuseppe RUZZOLINI.(Couleur). Aspect Ratio: 1.85 : 1
Musique : Piero PICCIONI.
Montage : Nino BARAGLI.
Décors : Luigi SCACCIANOCE.
Costumes : Bruna PARMESAN.
Son : Bruno BRUNACCI, mixage Alberto BARTOLOMEI.
Maquillage : Goffredo ROCCHETTI, Franco RUFINI.
Coiffure : Maria Teresa CORRIDONI, Giancarlo De LEONARDIS.
Direction de la production : Piero LAZZARI.
Production : Fausto SARACENI (exécutif), Dino de LAURENTIIS Cinematografica, Intermaco.ITALIE, 1972.
Genre : Comédie satirique.
Durée : 113 mn.
Sortie : 25 Octobre 1972 (Italie), 30 novembre 1977 (France)
DISTRIBUTION
Alberto SORDI (Peppino)
Silvana MANGANO (Antonia)
Bette DAVIS (la milliardaire)
Joseph COTTEN (George)
Domenico MODUGNO (Righetto)
Mario CAROTENUTO (Armando Castellini, 'le professeur')
Antonella DEMAGGI (Cleopatra, la fille d'Antonia)
Daniele DUBLINO (Don Roberto, le curé)
Luciana LEHAR (Jolanda, la soeur de Peppino)
Franca SCAGNETTI (Pasqualina, la cuisinière)
Piero MORGIA (le souteneur de Jolanda)
Guido CERNIGLIA (le médecin)
Dalila di LAZZARO (l'infirmière)
Emilio CAPUCCIO (un balayeur)
Federico SOMMA (le majordome)
Piero BASTANTE (un Marocain),
Ennio ANTONELLI (Oncle Osvaldo)
Marco TULLI (le représentant des pompes funèbres)
Giselda CASTRINI (la collègue de Jolanda)
Giacomo De MICHELIS (un homme du peuple)
Luciano MARTANA, Aristide CAPORALE, Alfredo CAPRI, Goffredo PISTONI, Dante CECILIA, Riccardo PERUCCHETTI (des habitants du bidonville)
Attention chef d'oeuvre, Comencini à son sommet pour moi. Cette allégorie sur la lutte des classes sait divertir tout en étant très émouvante. Si nous prenons fait et cause pour ce couple très pauvre, à la tête d'une famille nombreuse, habitant dans un bidonville à la périphérie de Rome qui essaie chaque année depuis 8 ans de plumer aux cartes (Le scopone scientifico) une riche héritière américaine, nous savons qu'ils sont condamnés d'avance. Les riches auront toujours des ressources infinies contre lesquels les pauvres ne pourront jamais lutter. Ici la vieille américaine peut miser indéfiniment dans des quitte ou double jusqu'au moment où elle l'emportera forcément. Ce que nous dit Comencini est que la lutte dès le départ est pipée et qu'il faut peut-être employer des moyens extrêmes voire radicaux pour s'en sortir, ce que la fille handicapée du couple aura bien compris. L'interprétation est de tout premier ordre avec un énorme Alberto Sordi mais tous les autres petits rôles sont soignés, aucun personnage n'est sacrifié. C'est tout le bidonville qui encourage Peppino et Antonia et chaque habitant suit fébrilement chaque partie de cartes comme si leur propre sort en dépendait. La fin du film nous laisse désemparé et estomaqué par le constat amer que nous délivre Comencini. Il cerne au plus près chaque personnage, les parties de cartes en elles-mêmes ne l'intéressent pas vraiment, d'ailleurs à aucun moment les règles du jeu sont expliquées. Ce qui importe est la vérité des personnages et les enjeux dans leurs confrontations. Il aura fallu attendre 5 ans après sa sortie en Italie pour que le film soit distribué en France. C'est moins que les 7 ans de Casanova mais symptomatique du peu de considération au début des années 70 dont jouissait Luigi Comencini auprès des distributeurs français.
A noter dans le rôle fugace de l'infirmière les débuts de l'actrice Dalila di Lazzaro.
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Extrait en VO
AUTRES CRITIQUES
Le film est passionnant. Le spectateur est lui-même saisi par le jeu et il y participe, même s'il sent que la partie est truquée. Car, au-delà de la simple anecdote, on peut en faire différentes lectures. La plus évidente est une allégorie sur la lutte inégale et perdue d'avance, du sous-prolétariat et contre le capitalisme. On peut aussi y déceler une dénonciation de l'action de l'impérialisme américain face au tiers-monde. Ou encore comme Robert Benayoun, y voir le triomphe de la mort sur une humanité dérisoire. Quoiqu'il en soit, le film est une réussite qui intègre parfaitement des éléments de réflexion à une comédie souvent très drôle qui joue sur le contraste des situations, sur la vivacité du récit, sur l'interprétation remarquable. Nous sommes bien d'accord avec Jean Gili lorsqu'il écrit que c'est "une œuvre majeure, drôle, et grave à la fois, selon cette alchimie que seuls, quelques très grands cinéastes réussissent à maîtriser - populaire et distanciée [...], une oeuvre où "le jeu du pouvoir de l'argent", selon les termes de Ennio Flaiano finit par entraîner tout le monde dans une folie communicative et déshumanisation grandissante.
Le guide des films Jean Tulard - Claude Bouniq-Mercier
Vieille, laide, capricieuse, méchante, mais très riche, elle parcourt le monde à la recherche de miséreux à plumer au jeu pour remplir sa solitude... Un joyau de la comédie italienne des années 70, dans la perspective d'un néo-réalisme crépusculaire : très drôle, car très sombre. Tous les acteurs y sont éblouissants, y compris les petits rôles, les enfants ou les foules, servis par la mise en scène généreuse de Comencini, dans la veine de la Comedia dell' Arte. Étonnante composition de Bette Davis en milliardaire impavide, perpétuellement au bord de l'apoplexie, mais toujours ressuscitant : la fable s'avère une allégorie grinçante (car nuancée) de la lutte des classes, d'où les indigents ressortent encore plus pauvres et les riches tout aussi riches. A moins que la génération suivante ne décide de s"en mêler. Celle des quatre enfants qui tressent des couronnes mortuaires pendant que leurs parents jouent aux cartes...
Télérama - Philippe Schwartzenberg
Tiré par Rodolfo Sonego d'un fait divers dont il avait été lui-même le témoin, cette fable anti-capitaliste extrêmement virulente et adroite est une allégorie de la lutte des classes et de la puissance de l'argent. Elle a stimulé comme jamais le talent de Comencini. L'argent attire l'argent et il est dans sa logique d'éliminer à la longue aussi bien le hasard que l'adresse. La vieille femme immensément plus riche que ses adversaires, doit gagner. Il suffit pour cela qu'elle joue assez longtemps. Le côté abstrait et distancié de la fable est équilibré par un modèle de distribution: face à l'impitoyable Bette Davis, l'humain, le trop humain et fébrile Alberto Sordi lutte à sa manière contre les moulins à vent. Rarement dans un film divertissement et message social auront été liés d'une manière aussi indissociable et aussi brillante.
N.B. Le film sortit en France en 1977 avec cinq ans de retard grâce à l'attaché de presse Simon Mizrahi, directement responsable de la sortie d'un certain nombre de chefs-d'oeuvre du cinéma italien écartés par les distributeurs. Citons notamment du même Comencini A cavallo della tigre (A cheval sur le tigre, 1961, sortie en France : 1976; Casanova, 1969, sortie en France : 1976.
Dictionnaire du cinéma - Jacques Lourcelles
Lo scopone scientifico est un film de fiction, et la fiction est le point fort du cinéma de Comencini ; il ne crée pas la fiction, il l’impose : en cinq minutes, en quelques plans, il donne le cadre, le lieu, les personnages, I’enjeu (…). Cahiers du cinéma - n°272 - Serge Toubiana
(…) Les règles sont en apparence les mêmes pour tous, qu'il s’agisse du "scopone scientifico" ou du comportement général des individus. En réalité il en va tout autrement. (…) Parce qu’on a inculqué [au prolétariat] des règles morales, ils sont tous victimes d’un code donné comme celui de l’honnêteté qui s’exprime dans l'observance de règles économiques (le jeu) ou sociales (l’affectivité) que la classe dominante impose pour gouverner, mais ne respecte pas. Ce que le prolétariat ne comprend pas, c'est que les règles apparentes ne sont pas les vraies, que tout est truqué. Fiche Ufoleis - François Chevassu
Lo Scopone Scientifico est un grand film populaire, et pourtant je ne pense pas que Luigi Comencini ait été faire une enquête sur le terrain pour enregistrer la faconde des faubourgs (...) Ce qu’il fait entrer dans son film ce sont les éléments de spectacle liés organiquement à des traditions populaires toujours vivantes ; non pas le soi-disant vécu des masses, mais les modes de représentation, les conventions de jeu qui leur sont propres. Le cinéma reste de la sorte la méditation et la prolongation du théâtre comique populaire. (…) Cahiers du Cinéma - Daniele Dubroux
(…) C’est aussi le jeu de la vitalité désespérée, de l’astuce et de la persévérance contre la Mort. Car cette vieille effrayante, qui, d’un pays à l’autre ne dépouille que les pauvres (elle écume tout spécialement le tiers monde) et qui frise l’infarctus à chaque fois qu’elle perd une lire, c’est un peu, imbattable, la Camarde rusée dont on sait qu’elle aime (voyez Le septième sceau) jouer avec les humains à «qui perd gagne». Le Point - Robert Benayoun
La facilité de l’univers des riches manifeste leur pouvoir. C’est un monde transparent qui s’ouvre devant eux. (...) Point de frottement ni de labyrinthes : les grillages et les sentiers, les pentes et les allées indiquent la position centrale du siège du pouvoir d’où les ordres atteignent directement leur but, mais qu’on ne saurait aborder que par un mouvement circulaire et montant.(...)
Et puis les miséreux parlent tous en même temps, et leur criaillerie s’embarrasse dans la contradiction entre leurs aspirations et les adages chrétiens ou marxistes que leur suggère un curé ou un professeur, et qu’ils ne parviennent ni à rejeter ni à assimiler. (…) Cette opposition d’un espace vide avec un monde trouble est confirmée par la confusion qui plane sur la géographie du bidonville et de ses cabanes. (...) Par deux types différents de mouvements d’appareil, la forme cinématographique amplifie l’antithèse : à l’intérieur de la villa, ce sont des mouvements suivis, harmonieux, prévisibles, qui aboutissent logiquement à un objet qu’ils n’ont jamais eu besoin de chercher ; rien ne s’égare.
Attention au contraire de ne rien perdre de vue dans le bidonville ! On risquerait de ne plus le revoir. La caméra se déplacera donc d’une manière plus heurtée et plus brutale. Ici c’est un grouillement imprévisible. Partout des obstacles et des foules qui surgissent, entourant avec ténacité ce qu’on voulait voir. Positif n°203 - Alain Masson
Ne peut-on pas dire que L’Argent de la vieille est un film plus politique que beaucoup de films qui parlent directement de politique ?
Selon moi, oui. C’est une allégorie sur le pouvoir, la différence de classes sociales, la lutte, la façon de conduire la lutte ou de ne pas la conduire pour le sous-prolétariat. Car c’est du sous-prolétariat qu’il s’agit, pas du prolétariat. Il y a une scène très révélatrice de la position d’Alberto Sordi : c’est après que la vieille ait subi une tentative de vol : il court à la villa en craignant qu’elle soit morte et que son espoir de devenir riche soit fini. Elle a une attitude très noble envers les deux pauvres types qui ont tenté le cambriolage avec une grande maladresse. Sordi se solidarise avec elle et dit que ce sont des ignorants qui ne savent pas ce qu’ils font. Il se place tout de suite du côté de la riche contre ses camarades du bidonville. Il croit être plus malin que les autres et pouvoir se tirer de la misère. Il vit de cette fausse sympathie que la vieille dame lui accorde.
L’enfant, qui est la nouvelle génération, est la seule qui soit assez terroriste pour tuer, et c’est ce qui est passionnant.
Terroriste, c’est peut-être trop fort, mais elle a un sens précis de la réalité, elle voit les choses comme elles sont, elle ne vit pas dans la même illusion que sa famille et tout le tissu social du bidonville dans lequel elle se trouve illusion qui les porte tous à la folie, comme à la fin. Il y a une scène quand
Sordi revient après sa tentative de suicide dans le bidonville, où tout le monde se bagarre, se dispute, car la folie du jeu a détruit toute solidarité entre eux.
La vieille aussi a le sens des réalités ?
Très précis. C’est une rencontre entre le grand capitalisme et le sous-prolétariat. Le servilisme est aussi un idéalisme. Elle s’amuse avec les sous-prolétaires comme le chat avec la souris.
Comment avez-vous utilisé la musique ?
Il y a deux thèmes. Il y a un motif populaire romain qui accompagne les états d'âmes de l’enfant et les moments de la vie dans le bidonville. Par rapport à la situation politique italienne il est intéressant que vous montriez que seuls les enfants ont une vision juste du combat à mener pour sortir de la misère. C’est une attitude personnelle que j’ai envers l’enfance.
Je me suis rendu compte que c’est une attitude constante que j’ai envers l’enfance et que l’on retrouve par exemple dans Pinocchio. L’enfant c’est le réel, le concret tandis que son père Gepetto c’est le rêve, l’illusion. Justement j’avais écrit dans les quelques lignes que l’on m’avait demandées pour la brochure de presse : si l’enfant exige de son père qu’il sorte du ventre de la baleine et affronte de nouveau la vie, c’est parce que les enfants représentent la volonté de vivre, la confiance en une réalité qui existe et que l’on peut modifier, la conscience que la lutte c’est la vie, et ne plus lutter c’est ne plus vivre. Je dois avouer que j’ai fait ce film parce que j’aimais la position de la petite fille. Fiche Ufoleis
Au moment où, tout juste sortie du couvent, la ravissante Eugenia de Maqueda épouse par amour le « plébéien » et riche Raimondo Corrao, elle reçoit de son père un télégramme qui lui apprend qu'elle n'est point sa fille et que son nouvel époux est en même temps son frère. Une séparation ne saurait être envisagée, dans cette Sicile de la fin du XIXe siècle, sans donner prise à d'abominables médisances. Le couple décide donc de vivre chastement le reste de son existence. Mais les tentations se multiplient : au cours de son voyage de noces, Eugenia est activement courtisée par un Français, Henry de Sarcey, lequel s'enfuit en découvrant la virginité de sa proie. Rentrée chez elle, Eugenia cède, non sans remords, à son chauffeur. Tandis que son frère-époux s'engage en Lybie, Eugenia, grande admiratrice du poète, rend visite à d'Annunzio en compagnie d'une amie, Evelyn, qui l'initie à certains jeux de femme que la société réprouve. Toujours en quête de l'idéale pureté, Eugenia pense à se retirer dans un couvent. Lors de la dernière visite qu'elle fait à son « frère » devenu député, les deux époux se décident à braver la morale jusqu'à consommer l'inceste. Mais les prive de cette joie un télégramme qui annonce à Raimondo qu'il n'est pas le fils de son père !. La guerre de 1914 éclate sur cette nouvelle et l'infortuné Raimondo y meurt. A la fin du conflit, Eugenia retrouvera les bras de son ex-chauffeur qui s'emploiera à lui faire perdre ses grands airs.
Réalisateur : Luigi COMENCINI. Scénario : Luigi COMENCINI, Ivo PERILLI, sur un sujet de Luigi COMENCINI. Image : Tonino delli COLLI (Couleur). Musique : Fiorenzo CARPI, direction d'orchestre Gianfranco PLENIZIO. Montage : Nino BARAGLI, assistant Gino BARTOLINI. Costumes : Dante FERRETTI (design). Son : Vittorio MASSI Caméra : Carlo TAFANI. Script : Maria Grazia BALDANELLO. Maquillage : Goffredo ROCCHETTI. Coiffure : Renata MAGNANTI. Direction de la production : Tonino SARNO (supervision), Mario d'ALESSIO. Production : Pio ANGELETTI, Adriano de MICHELI, Dean Film.ITALIE, 1974. Sortie : 24 Octobre 1974 (Italie), 10 décembre 1975 (France) Durée : 110 mn Genre : Comédie
DISTRIBUTION
Laura ANTONELLI (Eugenia di Maqueda)
Alberto LIONELLO (Raimondo Corrao, le marquis de Maqueda)
Michele PLACIDO (Pennacchini, le chauffeur)
Jean ROCHEFORT (le baron Henri de Sarcey)
Karin SCHUBERT (Evelyn)
Michele ABRUZZO (Don Pacifico)
Ugo PAGLIAI (Ruggero di Maqueda)
Rosemarie DEXTER (Floidia di Maqueda, la mère d'Eugenia)
Giuseppe CARACCIOLO
Clemente CIPA
Sebastiano INDELICATO
Carla MANCINI
Lorenzo PIANI
Maria SCIACCA.
Mon dieu comme suis-je tombée si bas ? est une comédie étonnante au charme fou, magnifiée par la belle Laura Antonelli, qui prouve ici qu'elle était aussi une très bonne actrice, bien dirigée par Comencini il est vrai. Le titre pourrait faire croire à une production polissonne de série, accréditée par la présence de Laura Antonelli. Même si le film nous offre les moments attendus avec un érotisme discret, où elle n'est pas avare de ses charmes, il fonctionne à plusiers niveaux : film historique, intrigue de roman photo, comédie érotique, satirique (critique du D'annunzianisme). L'outrance, même si elle peut en agacer certains, est mise au service d'une critique des moeurs italiennes préfigurant le fascisme. Il manque peut-être une grande tête d'affiche masculine, Michele Placido, alors à ses débuts est néanmoins parfait dans le rôle du chauffeur sentant la sueur qui saura enfin dépuceler l'héroîne après toutes ses tentatives avortées. Un grand Comencini, même si parfois il cède à la facilité dans certaines scènes, il n'en reste pas moins percutent et pertinent dans le tableau qu'il brosse de l'Italie ce ces années là dont selon Comencini il reste toujours des traces dans la société italienne actuelle.
Parmi les scènes d'anthologie à ne pas manquer, signalons surtout celle où le chauffeur n'arrive pas à enlever tous les jupons, corsets, frou frous qui cadenassent littéralement l'héroîne et il manque de renoncer avant d'entreprendre de déchiqueter tous ses vêtements avec un petit couteau.
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Bonus du DVD : Film raconté par Jean A. Gili
AUTRES CRITIQUES
« L'histoire d'une marquise italienne contrainte par l'adversité à contracter un mariage blanc, à être séduite et abandonnée, à être dévergondée par un chauffeur sentant la sueur... Satirique et burlesque, magnifiquement filmé et mis en scène (la photographie est superbe, l’interprétation sans failles), Mon Dieu comment suis-je tombée si bas ! tourne en ridicule la bourgeoisie italienne du XIXème siècle éperdue d'admiration pour les fariboles du poète national de l'époque, Gabriele D' Annunzio. Une comédie qui sait être drôle tout en flirtant avec la gaudriole, distinguée tout en cultivant un érotisme parodique, intelligente tout en marchant dans les plate-bandes de la grivoiserie. »
Télérama (Roman Chestak)
« La sensualité de Laura Antonelli fait sensation dans cette satire, fort drôle et aux images raffinées, de la bourgeosie italienne de la fin du XIXème siècle nourrie de la littérature de Gabriel D'Annunzio. » Guide des Films de Jean Tulard (Jean Tulard)
« Immédiatement après Un vrai crime d’amour, Comencini change de lieu, d’époque, de genre, pour mettre en scène une de ses meilleures comédies, un de ces films où l’apparente drôlerie cache une amertume secrète. Reprenant un peu la perspective de La grande pagaille - un moment de l’histoire italienne vu au travers de quelques destinées particulières - Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ? est aussi une des rares œuvres en costumes de l’auteur de Casanova, un adolescent à Venise. Le film tire d’abord son originalité de ce qu’il s’intéresse à une époque - fin du XIXème début du XXème - que le cinéma italien a rarement abordé en ces termes : que l’on pense par exemple à la manière radicalement différente dont Visconti évoque le dannunzianisme dans L’innocent.
Comencini ne s’intéresse pas aux ressorts traditionnels de la psychologie des personnages mais plutôt aux phénomènes de mœurs et de culture dont ces personnages sont le support. Comencini s’interroge sur quelques problèmes fondamentaux de l’histoire de la péninsule : dans quel contexte le fascisme est-il arrivé au pouvoir ? Quel terrain lui avait préparé la culture antérieure ? Le cinéaste remonte aux racines d’un phénomène qui a fortement marqué le peuple italien : le dannunzianisme a bercé l’Italie dans l’exaltation nationaliste et dans les débordements du discours patriotique.(...)
Des personnages fantomatiques - véritables marionnettes qui ne mesurent pas le degré de folie dans laquelle elles sont tombées - ressentent les rapports sexuels comme une suite de tabous, se déchirent, englués dans les faux problèmes de la respectabilité, s’enferment dans des dilemmes de roman-feuilleton : liés l’un à l’autre par le mariage, un frère et une sœur ne peuvent consommer leur union. Quand ils s’y résolvent - ayant décidé d’enfreindre le tabou -, la révélation de leur non-consanguinité leur ôte tout désir sexuel : leur attirance n’était que la conséquence d’un sentiment sophistiqué de l’acte interdit. Ainsi, sous ces avatars amoureux perce un univers idéologique qui s’éloigne sans cesse davantage des vrais sentiments, des vrais valeurs. Cette irréalité croissante, ce bouillon de «culture», préparent le terrain à l’aventure mussolinienne.
Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ? est une comédie, un film grotesque même, mais ici, comme souvent chez Comencini, le comique sert de véhicule à une œuvre grave, une œuvre qui déborde du cadre historique qui est le sien : «La culture italienne - souligne Comencini - est encore malade de dannunzianisme. Il me semble qu’une prééminence de l’esthétique sur le réel est encore évidente dans la littérature italienne de la fin de la guerre à aujourd’hui, littérature qui a donné par ailleurs des livres très importants. (...) Ce culte de la belle phrase, du beau geste, cette incapacité de voir le réel tel qu’il est, dans sa dimension concrète, se trouve également dans le cinéma».
Il faut sans doute voir dans ce procès indirectement instruit contre certains aspects de la culture italienne, le fait que Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ? ait connu une médiocre carrière en Italie et que la critique l’ait accueilli de façon mitigée en insistant sur la réussite comique du film mais en ne mettant pas en évidence toute la richesse dramatique de l’œuvre. En fait, rarement cinéaste a su aborder avec autant de précision et de sens de la mise en scène un problème typique de la civilisation italienne. »
Comment avez-vous écrit le scénario de ce film ? Quel a été l’apport de Ivo Perilli ?
Je connais Perilli depuis de nombreuses années. La première fois où j’ai été assistant,c’était sur un film de Perilli, La prima donna, un film de 1942 interrompu par la guerre puis terminé au prix de beaucoup de difficultés. Perilli est un homme très cultivé et un grand connaisseur de la période qui va de la fin du XIXème siècle au début des années vingt — celle de mon film. Perilli est une mine d’érudition, d’informations littéraires, historiques, anecdotiques sur la période considérée. Il a été pour moi un utile conseiller pour préparer Mio Dio come sono caduta in basso ?. J’ai construit avec lui le sujet du film ; quant au scénario, je l’ai écrit tout seul. Le film est un « collage » fait d’allusions, de personnages empruntés à la mauvaise littérature de l’époque, d’images provenant d’autres images. La base du récit est clairement empruntée au roman feuilleton avec tous les coups de théâtre, les équivoques, les drames de ce type de littérature, le tout accentué et naturellement tiré vers l’ironie. Le comportement des personnages est influencé par le dannunzianisme envisagé comme mode et comme goût.
Ceux-ci se comportent comme de pseudo-héros dannunziens ; on peut dire aussi comme des héros de Guido Da Verona qui a été un épigone et un mauvais vulgarisateur de D’Annunzio. Les attitudes rhétoriques, nationalistes et réactionnaires sont ici des attitudes schématiques, authentiques mais maniérées.
À la différence de mes autres films, dans Mio Dio come sono caduta in basso ? il n’y a pas de caractères, les caractères sont donnés pour ce qu’ils sont, ils ne sont pas analysés. Il n’y a pas ici d’étude de caractères comme par exemple dans Un vrai crime d’amour où les personnages évoluent, changent selon une évolution secrète qui révèle la nature profonde de cet ouvrier du Nord et de cette jeune fille du Sud. Au contraire ici, on a un jeu de personnages sans âme, de pantins qui font allusion aux mœurs d’une époque.
Pour quelles raisons avez-vous choisi de situer le film en Sicile ?
Peut-être s’agit-il là d’un choix erroné parce qu’effectivement le dannunzianisme a été un phénomène plus lié à la haute bourgeoisie septentrionale et centrale que méridionale — peut-être napolitaine mais non sicilienne. Cependant, à cause de ce désir de raconter une histoire de pantins, j’ai cherché des personnages qui soient un peu l’exacerbation de certaines attitudes. Pour tout l’aspect du film qui s’appuie sur le roman feuilleton, il fallait que le sens de la famille, de l’honneur, du bigotisme, l’importance de la richesse léguée de famille en famille, le rôle de l’honneur, soient assez violemment ressentis par ces personnages-pantins. De cette manière, le film pouvait acquérir son humour propre ; la superposition de la pseudo-culture dannunzienne pouvait s’y greffer de façon grotesque.
Il faut garder présent à l’esprit que mon intention, dès le début, a été de faire un film humoristique, un « grotesque ». En un certain sens, aujourd’hui, l’Italie c’est la Sicile : cela est erroné du point de vue de l’histoire culturelle ; cependant, dans les films italiens — à la manière dont on les voit à l’étranger depuis Divorce à l’italienne — les Italiens se comportent comme des Siciliens. Je devais faire un film dans lequel tous les personnages se comportaient de manière exaspérée, selon des caractéristiques évidentes, simples, élémentaires, afin d’obtenir un jeu de contrastes comiques. De ce point de vue, le choix de la Sicile se justifie : on pouvait raconter la même histoire en la situant dans d’autres régions, en Toscane par exemple ; cependant, elle serait devenue plus dramatique ou en tout cas d’un comique beaucoup moins évident. (…)
Le film peut également être envisagé comme une introduction au fascisme. On ne peut pas le voir sans penser qu’il se situe dans les années immédiatement antérieures au fascisme.
En disant cela, vous me remplissez de joie parce que c’est exactement ce que j’ai voulu dire dans le film et je ne sais pas si j’y ai réussi. De ce point de vue, le film aurait pu se terminer sur Lionello devenant un hiérarque fasciste. Cependant, au fond, il est plus juste de le faire mourir dans une guerre qui fut un drame sérieux, une hécatombe, non quelque chose de ridicule comme tout ce qui précède dans le film.
Au travers de la sophistication des rapports amoureux, le film peut aussi se lire comme la recherche d’une vérité sexuelle.
Avec la littérature de D’Annunzio, tout est devenu très compliqué : les rapports sexuels vus à travers D’Annunzio sont d’une complexité, d’une sophistication telles qu’ils atteignent à la folie — par ailleurs, ils sont également ingénus par rapport aux véritables perversions. Mio Dio, come sono caduta in basso ? est le voyage tortueux d’une pauvre femme, pas très intelligente mais très sensuelle, qui, plongée dans une culture délirante et victime d’un équivoque style « roman feuilleton » cherche à découvrir une vérité sexuelle, des rapports érotiques normaux.
Ce thème demeure sans doute actuel ?
De fait, le poids de l’Eglise, le sens du péché, se sont maintenus et sont encore forts. Dans le film, joue aussi le sens de l’aristocratie : si Laura Antonelli avait eu son premier rapport sexuel avec un marquis, avec un homme de la même classe sociale, elle n’aurait pas connu tous ces déboires. Voilà la vraie raison pour laquelle j’ai situé le film en Sicile. Il fallait que je dispose d’une aristocratie de campagne, isolée, repliée sur elle-même, sensible au poids de la famille, toutes caractéristiques différentes de celles d’autres régions où les gens sont plus désinvoltes, voyagent à l’étranger, ont des liaisons adultères sans que cela ne devienne un problème aussi compliqué.
Comment avez-vous conçu la direction d’acteurs pour ce film ?
Je craignais qu’Alberto Lionello ne fasse du personnage quelque chose de trop caricatural, au contraire le résultat me semble juste : son jeu est ici plus reconstruit. Par ailleurs, j’ai toujours eu à l’esprit les attitudes des acteurs du cinéma muet italien, spécialement pour les gestes de Laura Antonelli. Je pensais par exemple à Pina Menichelli, Francesca Bertini, Lida Borelli, dont les attitudes étaient encore plus ridicules, absurdes. J’ai aussi utilisé les documentations photographiques, les illustrations des romans de la fin du XIXème – début XXème siècles…
Propos recueillis et traduits de l’italien par Jean A. Gili - Ecran 76