vendredi 29 août 2014

1972 - LO SCOPONE SCIENTIFICO (L'ARGENT DE LA VIEILLE)



RESUME

Antonia et Peppino, un couple de chiffonniers, vivent avec leurs cinq enfants dans un bidonville de la banlieue romaine. Ils sont liés par un rituel immuable à une riche vieille dame américaine qui, chaque année, vient passer quelques jours à Rome. Passionnée par le jeu, celle-ci invite Antonia et Peppino dans sa somptueuse villa pour y disputer d'interminables parties de "scopone scientifico", un jeu de cartes où ils excellent. Malgré l'adresse du couple à ce jeu complexe, la vieille dame l'emporte toujours car sa fortune lui permet de miser sans fin. Pourtant, Peppino et Antonia gardent l'espoir d'empocher un jour "l'argent de la vieille"….


FICHE TECHNIQUE

Réalisateur : Luigi COMENCINI.
Scénario : Rodolfo SONEGO.
Image : Giuseppe RUZZOLINI.(Couleur). Aspect Ratio: 1.85 : 1
Musique : Piero PICCIONI.
Montage : Nino BARAGLI.
Décors : Luigi SCACCIANOCE.
Costumes : Bruna PARMESAN.
Son  : Bruno BRUNACCI, mixage Alberto BARTOLOMEI.
Maquillage : Goffredo ROCCHETTI, Franco RUFINI.
Coiffure : Maria Teresa CORRIDONI, Giancarlo De LEONARDIS.
Direction de la production : Piero LAZZARI.
Production  :  Fausto SARACENI (exécutif), Dino de LAURENTIIS Cinematografica, Intermaco.ITALIE, 1972.
Genre : Comédie satirique.
Durée : 113 mn.
Sortie : 25 Octobre 1972 (Italie), 30 novembre 1977 (France)

DISTRIBUTION

Alberto SORDI  (Peppino)
Silvana MANGANO  (Antonia)
Bette DAVIS  (la milliardaire)
Joseph COTTEN  (George)
Domenico MODUGNO  (Righetto)
Mario CAROTENUTO  (Armando Castellini, 'le professeur')
Antonella DEMAGGI  (Cleopatra, la fille d'Antonia)
Daniele DUBLINO  (Don Roberto, le curé)
Luciana LEHAR  (Jolanda, la soeur de Peppino)
Franca SCAGNETTI  (Pasqualina, la cuisinière)
Piero MORGIA  (le souteneur de Jolanda)
Guido CERNIGLIA  (le médecin)
Dalila di LAZZARO  (l'infirmière)
Emilio CAPUCCIO  (un balayeur)
Federico SOMMA  (le majordome)
Piero BASTANTE  (un Marocain),
Ennio ANTONELLI  (Oncle Osvaldo)
Marco TULLI  (le représentant des pompes funèbres)
Giselda CASTRINI  (la collègue de Jolanda)
Giacomo De MICHELIS  (un homme du peuple)
Luciano MARTANA, Aristide CAPORALE, Alfredo CAPRI, Goffredo PISTONI, Dante CECILIA, Riccardo PERUCCHETTI  (des habitants du bidonville)


Attention chef d'oeuvre, Comencini à son sommet pour moi. Cette allégorie sur la lutte des classes sait divertir tout en étant très émouvante. Si nous prenons fait et cause pour ce couple très pauvre, à la tête d'une famille nombreuse, habitant dans un bidonville à la périphérie de Rome qui essaie chaque année depuis 8 ans de plumer aux cartes (Le scopone scientifico) une riche héritière américaine, nous savons qu'ils sont condamnés d'avance. Les riches auront toujours des ressources infinies contre lesquels les pauvres ne pourront jamais lutter. Ici la vieille américaine peut miser indéfiniment dans des quitte ou double jusqu'au moment où elle l'emportera forcément. Ce que nous dit Comencini est que la lutte dès le départ est pipée et qu'il faut peut-être employer des moyens extrêmes voire radicaux pour s'en sortir, ce que la fille handicapée du couple aura bien compris. L'interprétation est de tout premier ordre avec un énorme Alberto Sordi mais tous les autres petits rôles sont soignés, aucun personnage n'est sacrifié. C'est tout le bidonville qui encourage Peppino et Antonia et chaque habitant suit fébrilement chaque partie de cartes comme si leur propre sort en dépendait. La fin du film nous laisse désemparé et estomaqué par le constat amer que nous délivre Comencini. Il cerne au plus près chaque personnage, les parties de cartes en elles-mêmes ne l'intéressent pas vraiment, d'ailleurs à aucun moment les règles du jeu sont expliquées. Ce qui importe est la vérité des personnages et les enjeux dans leurs confrontations. Il aura fallu attendre 5 ans après sa sortie en Italie pour que le film soit distribué en France. C'est moins que les 7 ans de Casanova mais symptomatique du peu de considération au début des années 70 dont jouissait Luigi Comencini auprès des distributeurs français. 

A noter dans le rôle fugace de l'infirmière les débuts de l'actrice Dalila di Lazzaro.

VIDEOS


Extrait en VO

AUTRES CRITIQUES

Le film est passionnant. Le spectateur est lui-même saisi par le jeu et il y participe, même s'il sent que la partie est truquée. Car, au-delà de la simple anecdote, on peut en faire différentes lectures. La plus évidente est une allégorie sur la lutte inégale et perdue d'avance, du sous-prolétariat et contre le capitalisme. On peut aussi y déceler une dénonciation de l'action de l'impérialisme américain face au tiers-monde. Ou encore comme Robert Benayoun, y voir le triomphe de la mort sur une humanité dérisoire. Quoiqu'il en soit, le film est une réussite qui intègre parfaitement des éléments de réflexion à une comédie souvent très drôle qui joue sur le contraste des situations, sur la vivacité du récit, sur l'interprétation remarquable. Nous sommes bien d'accord avec Jean Gili lorsqu'il écrit que c'est "une œuvre majeure, drôle, et grave à la fois, selon cette alchimie que seuls, quelques très grands cinéastes réussissent à maîtriser -  populaire et distanciée [...], une oeuvre où "le jeu du pouvoir de l'argent", selon les termes de Ennio Flaiano finit par entraîner tout le monde dans une folie communicative et déshumanisation grandissante.
Le guide des films Jean Tulard - Claude Bouniq-Mercier

Vieille, laide, capricieuse, méchante, mais très riche, elle parcourt le monde à la recherche de miséreux à plumer au jeu pour remplir sa solitude... Un joyau de la comédie italienne des années 70, dans la perspective d'un néo-réalisme crépusculaire : très drôle, car très sombre. Tous les acteurs y sont éblouissants, y compris les petits rôles, les enfants ou les foules, servis par la mise en scène généreuse de Comencini, dans la veine de la Comedia dell' Arte. Étonnante composition de Bette Davis en milliardaire impavide, perpétuellement au bord de l'apoplexie, mais toujours ressuscitant : la fable s'avère une allégorie grinçante (car nuancée) de la lutte des classes, d'où les indigents ressortent encore plus pauvres et les riches tout aussi riches. A moins que la génération suivante ne décide de s"en mêler. Celle des quatre enfants qui tressent des couronnes mortuaires pendant que leurs parents jouent aux cartes...
Télérama - Philippe Schwartzenberg

Tiré par Rodolfo Sonego d'un fait divers dont il avait été lui-même le témoin, cette fable anti-capitaliste extrêmement virulente et adroite est une allégorie de la lutte des classes et de la puissance de l'argent. Elle a stimulé comme jamais le talent de Comencini. L'argent attire l'argent et il est dans sa logique d'éliminer à la longue aussi bien le hasard que l'adresse. La vieille femme immensément plus riche que ses adversaires, doit gagner. Il suffit pour cela qu'elle joue assez longtemps. Le côté abstrait et distancié de la fable est équilibré par un modèle de distribution: face à l'impitoyable Bette Davis, l'humain, le trop humain et fébrile Alberto Sordi lutte à sa manière contre les moulins à vent. Rarement dans un film divertissement et message social auront été liés d'une manière aussi indissociable et aussi brillante.
N.B. Le film sortit en France en 1977 avec cinq ans de retard grâce à l'attaché de presse Simon Mizrahi, directement responsable de la sortie d'un certain nombre de chefs-d'oeuvre du cinéma italien écartés par les distributeurs. Citons notamment du même Comencini A cavallo della tigre (A cheval sur le tigre, 1961, sortie en France : 1976; Casanova, 1969, sortie en France : 1976.
Dictionnaire du cinéma - Jacques Lourcelles





Lo  scopone  scientifico est  un film  de  fiction,  et  la  fiction est  le  point  fort  du  cinéma  de Comencini  ;  il  ne  crée  pas  la fiction,  il  l’impose  :  en  cinq minutes,  en  quelques  plans,  il donne le cadre, le lieu, les personnages, I’enjeu (…).
Cahiers du cinéma - n°272 - Serge Toubiana 

(…) Les règles sont en apparence  les  mêmes  pour  tous,  qu'il s’agisse  du  "scopone  scientifico" ou du comportement général  des  individus.  En  réalité  il en va tout autrement. (…) Parce qu’on  a  inculqué  [au  prolétariat]  des  règles  morales,  ils sont  tous  victimes  d’un  code donné comme celui de l’honnêteté qui s’exprime dans l'observance  de  règles  économiques (le  jeu)  ou  sociales  (l’affectivité)  que  la  classe  dominante impose  pour  gouverner,  mais ne respecte pas. Ce que le prolétariat ne comprend pas, c'est que  les  règles  apparentes  ne sont  pas  les  vraies,  que  tout est truqué.
Fiche Ufoleis - François Chevassu 

Lo  Scopone  Scientifico  est  un grand  film  populaire,  et  pourtant je ne pense pas que Luigi Comencini  ait  été  faire  une enquête  sur  le  terrain  pour enregistrer la faconde des faubourgs  (...)  Ce  qu’il  fait  entrer dans  son  film  ce  sont  les  éléments  de  spectacle  liés  organiquement  à  des  traditions populaires  toujours  vivantes  ; non  pas  le  soi-disant  vécu  des masses,  mais  les  modes  de représentation, les conventions de  jeu  qui  leur  sont  propres. Le  cinéma  reste  de  la  sorte  la méditation  et  la  prolongation du  théâtre  comique  populaire. (…)
Cahiers du Cinéma  - Daniele Dubroux

(…)  C’est  aussi  le  jeu  de  la vitalité  désespérée,  de  l’astuce  et  de  la  persévérance  contre  la  Mort.  Car  cette  vieille effrayante,  qui,  d’un  pays  à l’autre  ne  dépouille  que  les pauvres  (elle  écume  tout  spécialement  le  tiers  monde)  et qui  frise  l’infarctus  à  chaque fois qu’elle perd une lire, c’est un peu, imbattable, la Camarde rusée dont on sait qu’elle aime (voyez Le septième sceau) jouer avec  les  humains  à  «qui  perd gagne».
Le Point  - Robert Benayoun

La  facilité  de  l’univers  des riches  manifeste  leur  pouvoir. C’est un monde transparent qui s’ouvre devant eux. (...) Point de frottement  ni  de  labyrinthes  : les grillages et les sentiers, les pentes  et  les  allées  indiquent la position centrale du siège du pouvoir  d’où  les  ordres  atteignent  directement  leur  but, mais  qu’on  ne  saurait  aborder que  par  un  mouvement  circulaire et montant.(...)
Et  puis  les  miséreux  parlent  tous  en  même  temps,  et leur  criaillerie  s’embarrasse dans  la  contradiction  entre leurs aspirations et les adages chrétiens ou marxistes que leur suggère  un  curé  ou  un  professeur,  et  qu’ils  ne  parviennent ni  à  rejeter  ni  à  assimiler.  (…) Cette  opposition  d’un  espace vide  avec  un  monde  trouble est  confirmée  par  la  confusion qui plane sur la géographie du bidonville  et  de  ses  cabanes. (...)  Par  deux  types  différents de  mouvements  d’appareil, la  forme  cinématographique amplifie  l’antithèse  :  à  l’intérieur  de  la  villa,  ce  sont  des mouvements  suivis,  harmonieux,  prévisibles,  qui  aboutissent  logiquement  à  un  objet qu’ils n’ont jamais eu besoin de chercher ; rien ne s’égare.
Attention  au  contraire  de  ne rien  perdre  de  vue  dans  le bidonville  !  On  risquerait  de ne plus le revoir. La caméra se déplacera  donc  d’une  manière plus  heurtée  et  plus  brutale. Ici c’est un grouillement imprévisible.  Partout  des  obstacles et  des  foules  qui  surgissent, entourant  avec  ténacité  ce qu’on voulait voir.
Positif n°203 - Alain Masson








Panorma critique (source Cinémathèque française)

http://www.cinematheque.fr/fr/dans-salles/hommages-retrospectives/revues-presse/comencini/argentvieille.html

AUTRES AFFICHES  (Polonaise, italienne)




ENTRETIEN AVEC LUIGI COMENCINI

Ne  peut-on  pas  dire  que L’Argent de la vieille est un film plus politique que beaucoup de films  qui  parlent  directement de politique  ?

Selon moi, oui. C’est une allégorie  sur  le  pouvoir, la différence de classes  sociales,  la  lutte,  la façon  de  conduire  la  lutte  ou de  ne  pas  la  conduire  pour  le sous-prolétariat.  Car  c’est  du sous-prolétariat qu’il s’agit, pas du  prolétariat.  Il  y  a  une  scène très  révélatrice  de  la  position d’Alberto  Sordi  :  c’est  après que la vieille ait subi une tentative de vol : il court à la villa en craignant qu’elle soit morte et  que  son  espoir  de  devenir riche  soit  fini.  Elle  a  une  attitude très noble envers les deux pauvres  types  qui  ont  tenté  le cambriolage  avec  une  grande maladresse. Sordi se solidarise avec elle et dit que ce sont des ignorants qui ne savent pas ce qu’ils  font.  Il  se  place  tout  de suite  du  côté  de  la  riche  contre  ses  camarades  du  bidonville. Il croit être plus malin que les autres et pouvoir se tirer de la  misère.  Il  vit  de  cette  fausse  sympathie  que  la  vieille  dame lui accorde.

L’enfant,  qui  est  la  nouvelle génération, est la seule qui soit assez  terroriste  pour  tuer,  et c’est ce qui est passionnant.

Terroriste,  c’est  peut-être  trop fort, mais elle a un sens précis de  la  réalité,  elle  voit  les  choses  comme  elles  sont,  elle  ne vit  pas  dans  la  même  illusion que  sa famille et tout le tissu social du bidonville dans lequel elle  se  trouve  illusion  qui  les porte  tous  à  la  folie,  comme  à la  fin.  Il  y  a  une  scène  quand
Sordi revient après sa tentative de  suicide  dans  le  bidonville, où  tout  le  monde  se  bagarre, se  dispute,  car  la  folie  du  jeu a détruit toute solidarité entre eux.

La  vieille  aussi  a  le  sens  des réalités ?

Très précis. C’est une rencontre entre  le  grand  capitalisme  et le  sous-prolétariat.  Le  servilisme  est  aussi  un  idéalisme. Elle s’amuse avec les sous-prolétaires  comme  le  chat  avec  la souris.

Comment  avez-vous  utilisé  la musique ?

Il  y  a  deux  thèmes.  Il  y  a  un motif  populaire  romain  qui accompagne  les  états  d'âmes de  l’enfant  et  les  moments  de la  vie  dans  le  bidonville.  Par rapport  à  la  situation  politique italienne il est intéressant que  vous  montriez  que  seuls les enfants ont une vision juste du combat à mener pour sortir de la misère. C’est  une  attitude  personnelle  que  j’ai  envers  l’enfance.
Je  me  suis  rendu  compte  que c’est  une  attitude  constante que j’ai envers l’enfance et que l’on retrouve par exemple dans Pinocchio. L’enfant c’est le réel, le concret tandis que son père Gepetto c’est le rêve, l’illusion. Justement j’avais écrit dans les quelques lignes que l’on m’avait demandées pour la brochure de presse : si l’enfant exige de son père  qu’il  sorte  du  ventre  de la  baleine  et  affronte  de  nouveau la vie, c’est parce que les enfants représentent la volonté de  vivre,  la  confiance  en  une réalité  qui  existe  et  que  l’on peut  modifier,  la  conscience que  la  lutte  c’est  la  vie,  et  ne plus  lutter  c’est  ne  plus  vivre. Je  dois  avouer  que  j’ai  fait  ce film parce que j’aimais la position de la petite fille.
Fiche Ufoleis









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